amnesiac pilgrim

Les ailes du vent

16 mars 2010

Le vent ailé et le poète

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A chaque jour suffit sa peine.

Le vendredi 12 mars 2010, je devais envoyer le manuscrit de la nouvelle version de mon livre sur les Regraga aux éditions MARSAM, mais étant fatigué, je me suis assoupi en écoutant Chopin. En fin d'après midi je m'asseois sur un banc non loin du port.

La lumière n'est pas extraordinaire ce jour là, mais brusquement je m'aperçois d'une intense activité des goélands du côté des poissonniers.

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Je décide alors de prendre quelques images, avec la certitude que certaines seraient assez extraordinaires. A mon retour à la Kasbah, je rencontre mon ami le poète Moubarak Erraji attablé à la terrasse d'un café non loin de la pâtisserie Driss. Il va bientôt publier un recueil de poèmes dédié à son fils, intitulé « Berceuse pour Adam ».

Il faut signaler que notre ami a déjà été consacré par le prestigieux prix Al Bayati qui consacre les jeunes poètes du monde arabe. Moubarak Erraji a reçu ce prix à Damas en 1998, pour son recueil "contre la terre ferme".

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Le poète Moubarak Erraji, né à Essaouira en 1966

Je lui montre les images que je viens de prendre au port, des goélands portés par le vent. Il me dit :

" Avec les ailes de l'une d'entre elles, entremêlées au ciel et au vent, l'image donne l'impression de formes surréalistes."

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Moubarak Erraji était en train de lire des Haïku Japonais.

Je note au hasard celui-ci :

Silence

Le chant des cigales

Pénètre les rocs









Des Haïku, Moubarak Erraji, en produit lui-même, mais en arabe, avec une sensibilité particulière. Il me cite celui-ci, sur la mer, le vent et les oiseaux de ces rivages :

Après la marée haute

La mer s'est apaisée

Comme un nourrisson fermant ses yeux

Dans un berceau bleu

Et puis encore celui-ci :

Entre une vague et une autre

La non-ligne abstraite de l'écume

Sa mousse portée aux quatre vents

Et ses bulles d'où se penchent les milles yeux des créatures

Que j'ai vu jadis dans un rêve à venir

Et pour finir le jeune poète me recommande de conclure par celui-ci :

Les mouettes sont des vagues qui prennent leur  envol

Et les vagues, des mouettes qui grondent

Quand on  brise une vague

Une aile vous pénètre profondément

Et quand on brise une aile

Une  vague vous pénètre profondément

Ecoutez les trois mouettes briser leurs oeufs

Comme si la mer surgissait du sable pour la première fois

Avec comme notes musicales : l'éclosion d'œufs de mouettes

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Un peu plus tard, la lumière a complètement changé, je décide de prendre cette dernière image à la tombée du jour et d'intituler cette note: "Les ailes du vent".
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Dimanche 14 mars 2010, vers la mi-journée, la mer avait une couleur vert-bleu qui m'attire et qui me plaît : elle donne aux vols des goélands une allure plus majestueuse et plus poétique encore
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Le soir, je montre les dessins géométriques et floraux, ces "marqueteries" qui restent de notre père et que je viens de publier dans ma note"les marqueteurs d'Essaouira" de ce blog. Il trouve les pièces belles et rares, en ajoutant que les Marocains sont actuellement en dehors de leur mémoire, "hors-mémoire", comme on dit "hors-zone", mais il viendra un jour où ils seront obligés de s'occuper de leur patrimoine.
Un peu plus tard, je retrouve mon ami le poète Moubarak Erraji et je lui fais part de la réflexion de mon frère Majid. Il me rétorque alors:
- Celui qui est sans mémoire, se situe à la marge froide de l'avenir. Nous aurions aimé avoir une continuité dans le souffle de la mémoire de ton père, les autres oeuvres de sa vie, et pas seulement ces vestiges de "touriq" (marqueterie), ainsi que des autres artisanats de la ville. Malheureusement, il y a des trous dans cette mémoire de la ville et de ses hommes.

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On s'est retrouvé au même lieu, mais pas au même temps. Nous étions tous les deux égarés, dans l'incertitude des temps qui courent. Ni moi, ni lui, nous ne savons de quoi demain sera fait. On ne veut ni faire sourire la carte postale, ni la faire pleurer, mais nous rêvons de jours meilleurs pour cette ville.

Je me lève pour commander mon café et voilà qu'à l'autre bout de la terrasse; j'aperçois mon ami David Bouhaddana, assis coude à coude avec le Palestinien Saâd Abou Tammam, originaire de la ville de Safad (à côté de Thébiriade), sur le mont Canaân:

- Mais c'est un très ancien nom que ce Canaân? lui dis-je

- C'est le nom des premiers habitants de la Palestine : ce sont les Canaânéens qui ont reçu Abraham et le peuple juif lors de leur exode d'Egypte, d'où il fuyaient Pharaon...

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Saâd Abou Tammam et David Bouhadana

Saâd Abou Tammam a connu l'histoire d'un autre exode : celui du peuple Palestinien en 1948. Il s'est réfugié alors avec sa famille en Syrie et vit actuellement en Suèd. David Bouhadana qui est né à Essaouira, vit pour sa part depuis de nombreuses années à Marseille. Saâd lui dit:

- Je n'ai absolument rien contre toi, en tant que juif marocain.Nous avons nos extrémistes et ils ont les leurs, mais nous sommes tous les deux pour la tolérance, la cohabitation et la paix.

- Formidable message de paix que tu viens de noter ce soir mon cher Mana!  s'écrie David Bouhadana en serrant très affectueusement la main de Saâd Abou Tammam le palestinien.

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L'un vit en Suèd , l'autre à Marseille et c'est l'honneur d'Essaouira, ville de la cohabitation et de la tolérance de les réunir fraternellement et humainement ainsi par delà le bien et le mal, par delà les religions et les nationalismes : l'humanité souffrante, l'humanité aimante les a réunie.

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Il n'y a pas seulement les différents moments de la journée où le visage de la ville change : c'est chaque minute que les envolées elliptiques des goélands prennent une nouvelle coloration : ce vert-turquoise d'aujourd'hui que j'aime beaucoup...

Reportage photographique d'Abdelkader MANA


24/04/2010
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