amnesiac pilgrim

Abd El Krim

Abd-El- Krim le mystérieux

 

Mohamed (Si Mohand dans le Rif) Ben Abdelkrim El Khattabi était né en 1882.

Ses années d'enfance et de jeunesse, sait-on sans plus, il les passa dans la maison d'Ajdir, à l'ombre de son père.

Le grand tournant pour lui, fut à n'en pas douter, le séjour  effectué à Fès.

Après trois ans d'étude dans la mosquée Qaraxiyine, il était devenu en 1915, le na'ib duqadi qudat du Presidio espagnol de Melilla. Quand il quitta Melilla à la fin de la première guerre mondiale, pour n'y jamais retourner, et rentra chez lui à Ajdir, il était déjà un protonationaliste marocain.

Mohamed Ben Abd el-Krim venait chaque année fêter la fin du Ramadan et profiter de son congé pour épauler son père. Un officier turc, émissaire clandestin, vint voir Abd el-Krim à Ajdir, en novembre 1914. Le visiteur voulait savoir si l'on pouvait au Maroc même, espérer un appui pour une action contre la France, à partir des régions que l'Espagne, dans sa zone, n'occupait pas encore. Il lui fut répondu qu'avec l'aide matérielle fournie par la Turquie de Mustafa  Ata Turk, il serait très facile de soulever le Rif.

 

Quasiment prisonnière dans sa ceinture de fortifications, Melilla, jadis, ne respirait que par la mer, d'où tout le nécessaire de la vie quotidienne devait lui parvenir. Mais en dix ans, grâce aux progrès de la conquête, elle était devenue capitale d'une région représentant, de l'oued Kert à la basse Moulouya, et du Guerrouaou à la pointe des trois fourches, plusieurs milliers de kilomètres carrés. Manquant de tout naguère, y compris d'eau courante, elle trouvait maintenant, dans cet arrière pays, les conditions lui permettant de se peupler et de s'étendre en vue de recevoir une forte armée d'occupation.

Durant sept ans, entre 1912 et 1919, sous Jordana et sous le général Aizpuru, commandant de Melilla à la veille de la guerre du Rif, deux progressions eurent lieu vers le Sud : sur les étendues plates des Beni Bou Yahi et de leurs voisins Metalsa.

Le territoire conquis, maintenant parsemé de positions, de garnisons, de points de colonisation que reliaient des routes, des pistes, et même une voie ferrée, offrait pour la manœuvre toutes les ressources dont peut user la stratégie. Beranguer avait, dès 1919, dressé un plan pour une occupation de la région de Tafersit ou la localité de Dar Drius servirait de pivot pour la manœuvre au Nord, tandis qu'à  Ben Taieb, Tafersit et Azib Midar, des positions colmateraient sur son flanc gauche toutes les issues de la montagne qui menaçaient la progression.

Ce fut le plan qu'en arrivant, eut à exécuter le général Silvestre. Le premier ban prévu devait conduire à Sidi Driss, sur l'embouchure de l'Amekrane, à une dizaine de kilomètres vers le Nord d'Anoual. Situé sur la côte, la position à établir là bas formerait une base rapprochée, où lui viendrait ensuite, par la voie maritime, le gros de son ravitaillement.

Abd el Krim dirige alors à Melilla,  la section arabe du journal El Telegrama del Rif, et  reçoit la croix du mérite militaire.

Durant toute la première guerre, il se montra grand ami d'Abd el-Malek, le fils de l'émir Abd el-Kader qui menait le combat contre le colonialisme français dans la trouée de Taza. C'est à cette époque qu'il rentre en rupture de ban, fait ses premiers séjours en prison à Melilla, se fixe pour finir dans un village écarté, muni d'une solide haine envers le système colonial.

Après s'être évadé de la prison où le général Silvestre l'avait jeté, il gagne la montagne et soulève sa tribu guerrière des Beni Wariyaghel, qui sera bientôt suivie par les autres tribus du Rif.

Sous le titre « Abd el Krim le mystérieux », le correspondant du Bulletin de l'Afrique Française à Madrid, écrit le 5 septembre 1921 :

 

« Le personnage devient de plus en plus énigmatique et on a bien du mal à comprendre comment le commandement de Melilla ne se préoccupe pas plus de le surveiller ou de s'en faire un auxiliaire.

Des faits très caractéristiques permettent de se rendre compte qu'on ne se trouve pas en face d'un fanatique vulgaire, préoccupé surtout de rapines faciles, aidé de son frère, qui étudia durant trois ans, à Madrid, pour préparer son entrée à l'Ecole des Ingénieurs de Mines, il donne l'impression de s'efforcer de donner aux hordes rifaines une organisation inusité dans ces régions. Il tient à donner à ses adversaires l'impression qu'il est  au courant des usages de la guerre entre pays civilisés : les prisonniers sont bien traités et ont toute la liberté pour donner des nouvelles à leurs familles ; lorsqu'il rend le cadavre du colonel Morales, avant de faire déposer son cercueil sur la petite plage de Sidi Idris, il le fait envelopper d'un drapeau espagnol et ordonne de saluer la dépouille mortelle du malheureux chef de la police indigène par des salves et les marins de la canonnière espagnole le voient s'incliner dans un dernier salut à celui qui fut son ami avant de devenir son adversaire. C'est à Abd-el-Krim et grâce à l'escorte qu'il envoya à Mont Arruit, que le général Navarro doit d'être encore vivant.» 

  

Le récit d'Abd-El- Krim

 

 

« Mon père mourut à Ajdir. Son corps repose actuellement dans le sanctuaire de Sidi Mohamed Ben Ali...Les espagnols venaient d'occuper Dhar Ouberran, en pays Tamsamane, point stratégique et politique de toute première importance. Je me proposais sur le champ, de leur disputer cette position. La partie était risquée. Je disposais à cette heure de 300 guerriers. Je revins me mettre à leur tête. Et malgré ma pauvreté en munitions, je déclenchais la contre attaque. Après un combat des plus durs, ma troupe réoccupa Dhar Ouberran.

Dans cette première grande bataille, les Espagnols avaient perdu 400 hommes dont 2 capitaines et 4 lieutenants. Quant au butin, il fut précieux pour nous : une batterie de 65 de montagne, des fusils Mauser tout neufs, environ 60 000 cartouches, des obus, des médicaments et des vivres de campagne ! Et vraiment tout cela n'était rien encore en comparaison de l'effet moral de cette victoire. Notre succès était si imprévu, si peu vraisemblable, que les Espagnols ne s'étaient même pas fortifiés à Dhar Ouberran. Et notre action avait été si rapidement menée que les troupes Rifaines ne comptaient pas plus de huit ou neuf morts, alors qu'ils en déploraient eux quatre cents.

Encouragées par la victoire, nos troupes, maintenant voulaient attaquer. Et si bien, que de leur propre initiative, elles dessinaient déjà une offensive en direction d'Anoual et de Sidi Driss.

L'effet avait été considérable. Tandis que la population située dans la zone en retrait des troupes espagnoles, ayant vu la débandade de celle-ci s'apprêtait à la rébellion, toutes les autres fractions du pays Tamsaman se joignaient spontanément à nous. A cette heure commençait à se constituer le bloc rifain. Ne voulant pas succomber à l'erreur qui avait été funeste à nos ennemis, nous fortifions les positions conquises dont la ligne passe par Sidi Driss et devant Anoual et Tizi Azza.

Les Espagnols avaient massé à Igherriben, au Sud d'Anoual, une colonne extrêmement forte qui constituait en quelque sorte les avant-postes de l'armée Sylvestre, dont le quartier général était à Anoual. J'étais informé que le ravitaillement des troupes espagnoles était défectueux, que peut-être même il ne s'opérait déjà plus, et que celles -ci n'avaient que pour quatre jours de vivres. Je savais aussi à quelle inquiétude elle était en proie, s'attendant d'une minute à l'autre, à voir  se soulever contre elle la population du pays qu'elle occupait.

Pour accroître leur angoisse et rendre leur situation plus critique, je décide de couper leur communication avec Tizi Azza, leur base de ravitaillement. Et brusquement j'occupe la côte entre Anoual et Igherriben.

Effrayé des conséquences de cette manœuvre, le général Sylvestre ordonne immédiatement d'engager une opération désespérée, à gros effectifs. Il met en ligne environ 10 000 hommes, avec cavalerie et artillerie. Je ne dispose, moi, que de 1000 guerriers, mais, en seconde ligne, j'ai maintenant des réserves et l'appoint de tout le pays.

La bataille d'Anoual  va durer du 21 au 26 juillet 1921, menée par le seul courage et le bon sens. La bataille est acharnée. Chaque jour le général Sylvestre attaque, et de jour en jour avec plus de violence. Mais nos guerriers se sont fortifiés. Et ils ont un avantage capital : ils n'offrent pas de prises à l'ennemi, tandis que les Espagnols qui manoeuvrent en formations massives, éprouvent de lourdes pertes. Et tous les jours nous réalisons un riche butin.

Le 25 juillet 1921, manquant de tout, nos ennemis doivent évacuer Igherriben qu'ils avaient réussi à réoccuper un instant. La reprise de cette position nous procure des stocks imports d'armes et de munitions. Nous faisons là nos premiers prisonniers dans cette affaire, dix ou quinze, et nous ramenons des canons.

Chacun des combats livrés au cours de ces journées est cruel pour les Espagnols. Car afin de sauver le plus possible de matériel, ils contre-attaquent en se repliant et, chaque fois leurs pertes sont sévères.

Dans la matinée du 26, leur défaite apparaît inévitable. Le général Sylvestre donne l'ordre d'évacuer, non seulement Anoual, mais tous les postes de la région. Au fur et à mesure de notre avance, je me suis rendu compte qu'il avait dû y être condamné, sans doute moins par notre pression que par le soulèvement des tribus qui le prenaient à revers.

En effet, durant cette évacuation, il n'y eut pour ainsi dire point de baroud. L'armée Espagnole battait en retraite, littéralement affolée, dans un désarroi si complet que nos guerriers eux-mêmes avaient de la peine, en progressant si rapidement, à croire en la réalité de leur victoire, en la catastrophe où sombrait l'ennemi. Plus de cents postes tombent ainsi entre les mains de nos soldats !

Partout la campagne est jonchée de cadavres et de blessés qui se lamentent et qui crient grâce.

Les Espagnols se replient en désordre dans la direction de Melilla. L'enthousiasme de mes guerriers est à son comble, mais leur désir de vengeance est tel qu'il me faut les menacer de mort pour les empêcher de massacrer les blessés.

Le désastre d' Anoual nous rapportait 200 canons, 20 000 fusils, d'incalculables stocks d'obus et des millions de cartouches, des automobiles, des camions ; des approvisionnements en vivre à ne savoir qu'en faire ; des médicaments, du matériel de campement ; en somme l'Espagne nous fournissait, du jour au lendemain, tout ce qui nous manquait pour équiper une armée et organiser une guerre de grande envergure !

Nous avions fait 700 prisonniers. Les Espagnols avaient à déplorer 15 000 tués et blessés. Parmi les tués se trouvait un Espagnol que j'avais beaucoup aimé, le seul d'ailleurs qui m'eût compris : le colonel Moralès. Respectueusement, je fis transporter son corps à Melilla. On n'a pas manqué de dire par la suite, que c'était de ma part une habilité pour me rapprocher des Espagnols. Il ne s'agit là que d'un hommagesuprême à un ennemi intelligent et loyal. Tout autre commentaire serait indigne de lui et de moi.

Quant aux conditions de la mort du général Sylvestre, qui succomba au cours de la bataille avec son état-major, je ne les connais point. C'est un petit Rifain qui vint nous informer qu'il avait découvert le corps d'un général tombé au milieu de ses officiers, et il me remit son ceinturon et ses étoiles. Quand je parcouru le terrain, à la fin du combat, il me fut impossible sur ses indications, de retrouver le corps et d'identifier les restes du général.

Nous dirigeâmes les prisonniers, partie sur Anoual, partie sur Ajdir. Et durant les premiers temps de leur captivité, c'est grâce à l'énorme ravitaillement pris à l'ennemi que nous avons pu les nourrir et leur éviter des privations.

A l'issue de la bataille de Mont -Aruit , j'étais parvenu sous les murs de Melilla (1) . Je m'y arrêtai. La prudence s'imposait. Avec la dernière énergie, je recommandais à mes troupes et aux contingents nouveaux venus de ne point massacrer ni maltraiter les prisonniers.

Mais je leur recommandais, aussi énergiquement, de ne pas occuper Melilla, pour ne pas créer des complications internationales. De cela je me repends amèrement. Ce fut ma grosse erreur. Oui, nous avons commis la plus lourde faute en n'occupant pas Melilla ! Nous pouvions le faire sans difficulté. J'ai manqué ce jour là, de clairvoyance politique nécessaire. Et à plus ou moins longue échéance, tout ce qui a suivi a été la conséquence de cette erreur.»

 

D'après Les Mémoires d'Abde el-krim, recueillies par Roger-Mathieu, sur le « Abda » qui le menait en exil

  



21/05/2012
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