A Ouarzazate les amandiers sont déjà en fleurs
15.11.2009
A Ouarzazate les amandiers sont déjà en fleurs
Tout
avait commencé en musique, un accueil aux rythmes de la montagne
entrecoupés de youyou. L'Ahouach de Tifoultout. Au bout du
voyage réel commençait le voyage imaginaire.
Le dépaysement est complet. Une ambiance propice à l'amitié entre les hommes et les femmes qui ne se connaissaient pas cinquante minutes plus tôt. C'est le mystère de Ouarzazate. La ville du silence où l'on se recueillit pour être attentif à l'appel du berger et à l'écho de la bergère que mime justement le mariage de ces voix graves et aiguës de ces chanteuses et de ces musiciens habillés aux couleurs bariolées de la fête ; arc-en-ciel lumineux du soleil.
Après cet accueil musical,
un dîner copieux est offert au bien nommé hôtel « karam »
(hospitalité). C'est l'occasion pour les invités de nouer les liens de
l'amitié autour d'une même table. Beaucoup d'entre eux avaient quitté
l'hiver et la neige en Europe pour se retrouver au printemps et au
soleil de Ouarzazate. Le matin en est une illustration éblouissante :
l'eau qui s'évapore crée une atmosphère de rêve que renforce le chant
multimélodiques des oiseaux.
Direction Tinghir puis les gorges de Toudhra en passant par la source des poissons sacrés : la journée commence bien. Le guide explique :
« Faisons une petite promenade à pied dans les gorges. Il y a des mouflons dans la montagne. On peut les voir grâce aux jumelles ».
Les parois abruptes des
gorges sont impressionnantes ; elles s'élèvent à pic jusqu'à 300
mètres. L'ascension dure trois heures en moyenne. Il y a des gens qui
passent ici toute une semaine, rien que pour pratiquer des escalades. Laftah
Omar, le président de la commune rurale de Tinghir précise :
« Les alpinistes viennent généralement en équipe. Les gorges de Toudhra
sont uniques. Ils s'agrippent aux falaises. Il faut le voir pour le
croire».
A Tinghir les amandiers sont déjà en fleurs. Des fioritures de hautbois nous accueillent. On nous offre un repas pantagruélique sur une esplanade qui a vue sur les montagnes enneigées. En fait, on va d'une grande bouffe à l'autre, d'une musique à l'autre, d'un paysage à l'autre.
Lawrence d'Arabie et les dix
commandements
La journée du samedi 21
février 1987…s'achève en apothéose par un dîner–spectacle à l'hôtel Karam
Palace avec orchestre de musique flamenco et groupe des lords (tenue
sombre). Le groupe espagnol a notamment dansé sur les airs du « Lac du
Cygne » de Tchaïkovski. Le dimanche, la ville silencieuse de
Ouarzazate se réveille dans la lumière et le silence ; ville rouge sur
fond de montagne enneigée. Le touriste peut pratiquer toutes sortes
de sports dans cet air purifié. : le tennis, le tir à l'arc,
l'équitation, la nage et j'en passe. Il peut vivre en deux jours
l'équivalent d'un mois de vacances, tellement le temps est bien rempli
et l'espace parcouru dans tous les sens.
Rien de mieux pour faire peau neuve et prendre une nouvelle charge d'énergie : On oublie, on se laisse vivre, on devient un autre. Les ksour et les kasbah parsèment de temps en temps, ici et là des espaces sauvages, dénudés, silencieux, mystérieux et magnifiques. Au milieu d'un paysage lunaire et rocailleux où pas une herbe ne pousse, brusquement la vie ressurgit avec sa profusion de végétations : c'est la victoire de la vie sur la mort, de l'eau sur la sécheresse. C'est le cas de l'oasis où nous fûmes accueillis au milieu des tentes caïdales. L'eau y vient de l'oued Taznakht. Il y a aussi des eaux souterraines qui proviennent de la fonte des neiges du versant sud du haut–atlas.
Devant les tentes caïdales, l'immense Ahouach de l'Adrar.
Les percussionnistes sont assis à même le sol alors qu'auteur d'eux les danseuses cosmiques imitent la roue solaire : ici, ce n'est plus cet objet décoratif et folklorique qu'on promène dans les hôtels et les « fichta » officielles. L'ahouach est dans son cadre naturel, au bord de l'oued sur fond de falaises et de lumière. Il n'y a ni micro, ni estrade. C'est la culture paysanne dans son authenticité. Dans ce contexte naturel ; le produit exotique, ce sont les touristes !
Sur le plan culinaire et
musical, on a presque fait le tour de l'univers si l'on peut dire : du
plat norvégien au menu traditionnel dans sa version berbère et fassie
et de la musique espagnole à la Sokla de Tamgrout….Une
journaliste française me dit : « Il faut que je fasse ma provision de
thé à la menthe, parce qu'à Paris, ça ne cours pas tellement les
rues ». Un autre journaliste français lui rétorque : « Ici, on mange ;
on ne fait pas de discours. Alors qu'en France ; Oh là, là ! Les
discours ! Ici, les discours, on les traduit par les faits. ». Le
méchoui est servi. Des youyou strident entrecoupent le chant des
femmes qui rythment avec leurs mains. Au delà de quelques îlots de
verdures…l'espace ocre court jusqu'au pied de la montagne ombragée. Ce
n'est pas par hasard que les cinéastes avaient choisi ce paysage à la
fois hostile et sauvage pour tourner leurs films.
Des studios de cinéma sont déjà installés à Ouarzazate. On y a tourné plusieurs films : Laurence d'Arabie, le dernier James Bond, les Milles et une nuit, les joyeux de Niel, et « Liberté, égalité, choucroute ».La kasbah des Aït Ben Haddou a d'ailleurs été le théâtre de plusieurs activités cinématographiques comme nous le précise le guide du coin du nom de Mohamed Abdou du haut de cette kasbah :
« Là en bas, près des jardins avec des amandiers en fleurs et des figuiers, on a rajouté une petite muraille pour les besoins du film « Lawrence d'Arabie » ; c'est cela ce qu'ils appellent « la kasbah ». mais ce n'est pas comme ça qu'on la voit dans le film, parce qu'ils ont coupé tous les arbres. Les figurants qui jouaient le rôle de nomades sont des sédentaires qui vivent à Ouarzazate. Ils ont loué tous les jardins du village pour y installer des tentes. Pour cela, ils ont coupé tous les arbre. Maintenant, il y a moins de fruits parce qu'il est difficile de faire repousser un arbre tout de suite. Les quatre fenêtres blanches que vous voyez là-bas ne sont pas d'origine : avant…il n'y avait pas de fenêtres sur les murs ; ça, c'est pour un film français qui s'appelle « le vol du sphinx » avec Alain Souchon. Ils ont mis sept coupoles qui ressemblent à des marabouts. Au cinéma, les gens croient qu'il y a plein de marabouts à Aît Ben Haddou. Je dirai non. Ce ne sont pas des vrais. Le vrai marabout est derrière : au village à côté du cimetière et la petite coupole aussi. Là haut, on l'appelle « Agadir », vous savez ce que c'est ?
- Le grenier collectif, lui répondit-on.
- Grenier collectif pour mettre les gazelles ! (éclat de rire).
Excusez – moi… Messieurs–Dames, parce que je rigole un petit peu. Nous, on n'est pas des dromadaires ou des chameaux qui sont toujours fâchés. D'ailleurs il n'y a plus de chameaux parce que les chameaux ne servent plus, puisqu'il n'y a plus de caravanes. Le problème maintenant, c'est que les gens quittent la kasbah qui se trouve sur les hauteurs pour habiter la terre pleine. Car la kasbah n'a plus sa fonction de lieu protégé contre les razzia. Par conséquent, les maisons non entretenues tombent en ruines.
Le monde d'hier qui tombe en ruine peut être restauré parce qu'il a maintenant une autre fonction : répondre aux besoins du tourisme culturel. En présence du gouverneur de Ouarzazate, le séjour s'est terminé en apothéose par une soirée marocaine à l'hôtel Salam animé par l'orchestre de musique andalouse sous la direction de Haj Abdelkrim Raïs. La vedette en était le jeune chanteur Abderrahim Souiri qui a ébloui tout le monde par ses mawal enflammés, ses inçiraf légers et la gaieté des ses mouwashah andalous. Aux lueurs qui préludent le jour, tout le monde est transporté à l'aéroport où l'avion a pris son envol en même temps que le levé du soleil pour atterrir à Casablanca au moment où tout le monde prenait encore son petit déjeuner.
Abdelkader MANA